Flânerie

Lonšu était en congé... du moins c'est comme ça que l'armurier chez qui il travaillait appelait sa situation. La vérité c'est qu'il était partie effectuer une grosse livraison dans les dieux savent quel coin du continent, et qu'il ne faisait pas assez confiance au jeune Galvana pour le laisser gérer les affaires en son absence. De toutes façons, peu de gens faisaient confiance aux Galvanas, c'était déjà un miracle pour lui d'avoir trouvé un emploi.
N'ayant rien de particulier à faire, le natif de la tribu d'Uuloïn alla flâner dans les ruelles plus ou moins bien entretenues de sa nouvelle ville. Il s'était équipé de deux épées, dont les fourreaux étaient attaché dans son dos. Il sortait toujours armé depuis qu'il avait été victime d'une agression de haine raciale. Avec son air de tueur à gages, on ne venait pas lui chercher des noises. L'ambiance était assez étrange ces derniers temps. Des rumeurs couraient de plus en plus comme quoi une Cinquième guerre risquait de tomber à tout moment, comme une catastrophe naturelle contre laquelle on ne peut rien... et les gens étaient dans l'ensemble assez stressés. Lonšu lui était au contraire plutôt détendu. Il n'avait pas peur de la guerre, et cela pour deux raisons:
D'une part, rien ne prouvait que ce qui se disait était vrai. Ce n'était que des rumeurs lancées par des trouillards et relayées par d'autres trouillards.
D'autre part, quand bien même il y aurait une guerre, ça ne serait pas une mauvaise chose dans le fond. Une bonne guerre était l'évènement idéal pour créer un nouvel ordre social sur ce continent peuplé d'êtres à la morale douteuse, qui avaient exilé des peuples entiers choisis comme boucs-émissaires. Et si demain les rôles étaient inversés. Si demain les Galvanas quittaient les Landes Abandonnées pour vivre dans de fastes cités, alors que les autres devraient suer eau et sang pour gagner leur pain. Ce ne serait qu'un juste retour des choses en fin de compte.

Vladek était venu faire aiguiser son épée qui lui semblait un peu émoussée mais il s'était trouvé devant une armurerie fermée.
Puisqu'il n'avait rien d'autre à faire pour le moment, il avait loué une chambre à l'auberge ''le Lys d'or'' et était sorti pour explorer les ruelles.
Il avançait au hasard, regrettant pour une fois l'absence d'oreilles qui aurait pu lui permettre d'entendre les dernières rumeurs.
Il sentait une tension presque palpable dans l'air et voyait bien que les gens étaient nerveux.
Le Beligan espérait que rien de grave n'était arrivé pendant qu'il était au QG des Défenseurs avec Malon.

Alors qu'il errait sans but dans les ruelles, perdu dans ses pensées, il failli heurter quelqu'un.
Vlad se recula précipitamment et s'excusa.

- Veuillez m'excuser, j'étais perdu dans mes pensées et je ne vous ai pas vu arriver.

Vladek regarda l'homme qu'il avait failli téléscoper avec intérêt. C'était la première fois de sa vie qu'il rencontrait un Galvana.
Ces derniers quittaient rarement les Landes dans lesquelles ils avaient été exilés.

*Encore une injustice de plus ... après les Astroids, les Galvanas ... combien auront encore à souffrir de notre aveuglement et de notre stupidité ?*

Vlad avait appris le rôle qu'avait joué son peuple dans l'exil des Galvanas.
Les Beligans et les Bonkais avaient autrefois conclu un pacte pour exiler les Galvanas dans les Landes Abandonnées à cause d'une obscure histoire de trahison qui n'avait jamais été prouvée.
S'il est bien une qualité aux Beligans, c'est qu'ils apprennent à leurs enfants toute l'histoire de leur peuple, y compris les côtés négatifs afin d'éviter de commettre les mêmes erreurs.
Ainsi, Vladek savait qu'en fait les Galvanas avaient été bannis parce que les autres peuples ne les aimaient pas et qu'ils avaient justement besoin de boucs émissaires.
Tout comme les Astroids avaient été massacrés par jalousie envers leur grande résistance aux maladies.

Ces actes révulsaient le Beligan qui ne pouvait s'empêcher d'éprouver de la culpabilité.
Il décida d'engager la conversation avec le Galvana pour en apprendre un peu plus sur lui.
S'il se promenait librement en ville, mieux, s'il avait un travail ici, peut-être y avait-il enfin de l'espoir ...
Le tout était de savoir si l'homme accepterait de parler avec lui.
Après tout, s'il connaissait l'histoire de son peuple, ce qui était sûrement le cas, ce ne serait pas étonnant qu'il haïsse les Bonkais et les Beligans et par conséquent qu'il refuse de parler avec Vladek.
Mais comme on dit : ''qui ne tente rien n'a rien''.
Vladek lui sourit donc et tendit sa main.

- Mon nom est Vladek Istal. Je viens parfois dans ce village mais je ne vous avais jamais vu jusqu'alors, êtes-vous nouveau ici ?

Lonšu ne s'était rendu compte de la présence du Beligan qu'au dernier moment, quand celui-ci fit un mouvement pour l'éviter. Presque par réflexe, le jeune Galvana avait déjà posé la main droite sur le manche de l'épée qui dépassait par-dessus son épaule gauche, alors même que l'autre était en train de s'excuser.

* Non mais c'est qui ce mec ?*, pensa-t-il.

C'est vrai que c'était assez peu courant, il n'était pas habitué à ce qu'on fasse preuve de politesse envers lui. Peut-être n'avait-il pas vu encore que Lonšu était un Galvana, ce n'était pas fréquent, il était même probablement le seul de la ville. Cependant il n'était pas au bout de ses surprises, car le Beligan se présenta et lui tendit la main.
Lonšu resta un instant immobile, sondant le regard de son interlocuteur. Il resta peut-être deux ou trois secondes sans rien dire, ni faire le moindre mouvement. Mais il n'avait pas déceler la moindre trace d'ironie dans l'attitude globale de ce Vladek Istal. Bien au contraire, il semblait même plutôt gêné d'avoir failli le heurter.
Lonšu était particulièrement prudent vis-à-vis des Beligans. Après tout, ils étaient les principaux responsables de l'exil de son peuple dans ces Landes sinistres. Et puis son expérience personnelle n'avait fait que renforcer sa méfiance. Il avait eut une échauffourée avec deux d'entre eux peu de temps avant d'arriver à Lharcysia, qui avait particulièrement mal tourné, et s'il travaillait chez un Beligan aujourd'hui, c'était grâce à des mensonges d'un goût plutôt douteux qu'il avait réussi à se faire embaucher.
Mais celui-là avait l'air différent de ce qu'il avait put connaître jusqu'à présent, et le Galvana estima qu'il ne fallait pas s'abaisser au niveau de ces racistes qu'il méprisait tant. Il serra alors la main qui lui était tendue:

<< Enchanté, je m'appelle Lonšu Uuloïn. Je vis ici depuis presque un an, mais je sors rarement de l'armurerie où je travaille. Actuellement je suis en congé, ce qui explique ma présence dans cette ruelle. >>

Vladek crut un instant que le Galvana refuserait de lui serrer la main.
Mais quand ce dernier le fit en fin de compte et se présenta, un grand sourire illumina le visage du Beligan.
Ainsi, il y avait d'autres personnes prêtent à passer la barrière des préjugés !
Si une guerre se préparait vraiment, Vlad espérait bien que les Lutariens remporteraient la victoire et que cette fois, ils puissent repartir à zéro et reconstruire un monde dans lequel les Galvanas et les Astroids seraient les bienvenus.
Idéaliste ? Certes, mais Vladek avait besoin d'y croire.

Le Beligan fut intéressé d'apprendre que Lonšu travaillait à l'armurerie. Il ne lui semblait pas l'avoir rencontré lorsqu'il y était venu avec Malon mais il faut dire qu'avec les trois voyous, il avait eu bien d'autres soucis en tête.

- Oh, je me suis justement rendu à l'armurerie ce matin ! Savez-vous si elle sera fermée longtemps ? Mon épée me semble un peu émoussée et avec les rumeurs qui courent, je préfère être préparé ... au cas où ...

Vlad' resta un instant songeur. Travaillant à l'armurerie, Lonšu aurait pu surprendre d'autres informations sur les événements étranges qui se déroulaient.
Le Beligan n'avait jamais connu de guerre mais il pensait que s'il devait imaginer une ambiance de pré-conflit, alors il l'imaginerait exactement comme celle qui pesait depuis quelques temps déja.
Ce petit village si paisible en apparence survivrait-il à une attaque organisée ?
Vladek avait besoin de parler à quelqu'un. Quelqu'un qui ne s'inquiéterait pas et qui ne le traiterait pas de fou.
Il ne savait pas pourquoi mais sa nouvelle connaissance lui semblait être la personne idéale.
Il posa donc la question qui lui brûlait les lèvres :

- Croyez-vous qu'il y aura vraiment une guerre ? Une guerre aussi terrible que les 4 précédentes ?

Qu'il y ait eu ou non les trois voyous, le Beligan n'aurait en aucun cas pût rencontrer le Galvana à l'armurerie. Employer un Galvana débrouillard c'était bien pratique, mais l'armurier s'arrangeait toujours pour que celui-ci reste bien gentiment dans l'arrière-boutique, hors de la vue des clients, envers laquelle sa présence avérée pourrait être une publicité des plus négatives.

<< Faudra sans doute compter plusieurs avant le retour du patron. Mais bon, si vous me dénichez deux pierres de bonnes tailles et une cervoise bien fraîche je dois pouvoir vous l'arranger. Bien sûr elle ne sera pas aiguisée de façon optimale, mais bien assez pour trancher un organe standard... Enfin vous voyez ce que je veux dire. >>

Cependant, cette question du Beligan semblait être une introduction à sa deuxième question, celle qui semblait l'intéresser vraiment. Les rumeurs de guerre étaient apparemment parvenues à ses oreilles, et cela semblait le tracasser sérieusement. Il demanda son avis au Galvana. Lonšu aurait éclaté de rire si cette question avait été posée par n'importe qui d'autre, il ne redoutait pas la guerre. Mais comme Vladek était la seule personne sympathique qu'il ait rencontré depuis fort longtemps, il se retint, et se contenta de lui répondre sincèrement:

<< Vous savez, j'ai grandi dans les Landes Abandonnées pendant la guerre. On avait aucun abri, et une attaque pouvait nous tomber dessus à n'importe quel moment. Il fallait être prêt, on ne l'était pas toujours. J'ai vu des horreurs qu'aucun enfant ne devrait voir, ni même aucun adulte. Alors après avoir vécu ça, la vie ici me paraît extrêmement calme et paisible. Mais les gens ne sont pas sereins, ils sont même complètement stressés. Je ne sais pas si c'est fondé ou s'ils sont juste incapables de vivre sans angoisses, et honnêtement je n'ai pas vraiment approfondi le sujet. Je vis au jour le jour maintenant, si des monstres m'attaquent demain, je les pourfendraient sans aucuns scrupules. En attendant je me contente de profiter de mes vacances pour apprendre par cœur toutes les ruelles de cette ville. >>

Vladek apprécia la franchise du Galvana.
A sa façon de parler, il semblait effectivement que Lonšu ait eu plus que son lot d'horreur.
La vie du Beligan lui apparut alors bien insipide. A part une rencontre bouleversante avec un Astroid blessé et récemment les aventures qui s'étaient produites avec Malon, il n'avait jamais rien connu de notable dans sa vie. Et il ne s'en plaignait pas.
Mais que certains comme les Galvanas et les Astroids souffrent et endurent milles tourments pour survivre une journée de plus pendant que les autres peuples se prélassaient dans leurs villes, au milieu de leur petite existence confortable, le révoltait. Si seulement il pouvait faire quelque chose pour son nouvel ami ... Quoi que celui-ci paraissait s'être bien adapté à sa nouvelle vie.
Il avait même trouvé un métier et se promenait sans crainte dans la ville.

Vladek resta un instant songeur. Il se disait que lui aussi devrait parfois faire comme le Galvana.
Cesser de s'inquiéter pour tout et tout le monde et vivre au jour le jour. Juste profiter de l'instant présent. Mais non, il ne pourrait pas le faire, pas tant que d'autres continueraient à souffrir d'injustices.
Vlad' enregistra surtout la dernière phrase prononcée par Lonšu.
Il voulait connaître par coeur toutes les ruelles de cette ville ? Dans ce cas, il y avait un endroit incontournable. Surtout s'il aimait les cervoises.
Le Beligan fit un signe de la main pour indiquer à son nouvel ami de le suivre.

- Je connais un endroit qui pourrait vous intéresser.

Ils traversèrent deux ruelles avant de s'enfoncer dans une autre, plus sombre et étroite que les précédentes.

- L'aspect est peut-être un peu inquiétant mais c'est sans danger. Voila nous y sommes.

Ils se tenaient devant un petit bar à l'aspect miteux de l'extérieur. Une enseigne représentant une choppe remplie à ras bord pendait sur deux gonds.
Vladek poussa la porte et entra. L'intérieur démentait l'aspect extérieur.
La salle était petite mais pas bondée et chaleureuse.
Il y avait quelques tables entourées non pas de chaises mais de fauteuils à l'aspect confortables.
Au fond de la pièce, il y avait une cheminée mais aucun feu n'y brûlait, la température étant déja relativement insupportable.
Derrière le bar, le patron, un petit homme assez trapu et chauve, aux joues rouges et aux yeux brillants, lança un clin d'oeil à Vladek tout en continuant à laver le verre qu'il tenait à la main.

Le Beligan se dirigea vers une table et s'assit. Il prit une carte des consommations et la tendit à Lonšu.

- C'est ma tournée !

[HJ : Ptdr, je vois trop bien Vladek en militant pour la paix, distribuant de petites pancartes ''pour la réhabilitation de nos frères Galvanas et Astroids'' XD]

[HJ: du temps liiiibre, je m'y met tout de suite !]

Lonšu entra dans la petite taverne à la suite de son nouvel ami. Apparemment le Beligan ne venait pas ici pour la première fois, vu le clin d'œil assez complice que lui adressa le patron.
L'endroit était, il fallait bien l'admettre, des plus accueillants. Certes vu de l'extérieur, ça inspirait la méfiance, et c'est peut-être ce qui expliquait sa relativement faible fréquentation. Mais au moins on avait de la place. Le Galvana se posa tranquillement sur un fauteuil, légèrement affalé, en étendant un peu les jambes. Pour quelqu'un qui avait vécu en ermite dans le désert pendant environ deux ans, un fauteuil comme celui-ci, aussi simple soit-il, valait largement les meubles les plus luxueux des châteaux les plus pompeux.

Remerciant le Beligan, il attrapa la carte que celui-ci lui tendit. Elle était vraiment bien fournie, et il ne savait pas trop que choisir:

<< Je crois que t'as gagné une épée affûtée mon pote...>>

Après deux bonnes minutes de délibération avec lui-même, il se décida enfin:

<< Je vais essayer la cervoise-maison, rien de tel que les spécialités maisons pour se donner une idée de ce que vaut l'endroit. >>